« La résignation vaut mieux qu'un espoir continuellement déçu. » Jean-Paul Sartre *** Je l'observai quelques secondes puis d'une démarche hésitante, m'approchai de lui. Sa combinaison de sport noire retraçait les moindres sillons de son corps d'Apollon. Cuisses bien galbées, fessiers redondants et fermes, épaules musclées, abdos en béton... le spécimen frôlait la perfection. Quarante-six ans et toujours en super forme! Le sport était le deuxième amour de Gardy. Lundi, gymnase; mardi sport à domicile; mercredi, gymnase; jeudi, sport à domicile; vendredi, gymnase; samedi et dimanche, sport à domicile. Et, au moins quatre fois par semaine, sport au lit - façon de dire, le nid conjugal étant que très rarement notre principale option.
Une fois près de lui, je l'enlaçai et laissai mes mains glisser le long de son torse.
_ Je peux t'accorder quelques minutes avant ma séance, tu sais? M'informa-t-il, coquin, la tête tournée vers moi.
Malgré sa blague, je pus percevoir une certaine pâleur dans son regard. C'était ainsi depuis la nuit à l'hôtel. Il paraissait inquiet, mangeait peu; nous faisions l'amour que parce que je le voulais, et il n'était plus aussi performant qu'avant - peut-être évitait-il d'y aller trop fort à cause de mon opération au sein. Il maintenait ses entraînements toutefois; « le sport aide à oublier » aimait-il répéter.
Je lui fis face, lui caressant le visage. C'était la troisième fois que je venais à lui sans être capable de lui dire que j'étais atteinte de la maladie qui l'avait privé de sa mère lorsqu'il était à peine un adolescent.
Mais il fallait qu'il sache.
Je pris une profonde inspiration et...
Trois, deux, un...
_ Ogé m'a donné les résultats.
_ Je viens de l'avoir au téléphone il m'a dit que ce n'était pas encore prêt, me dit Gardy l'air confus.
_ Il voulait sûrement que ce soit moi qui t'en informe.
Je n'eus pas besoin d'en rajouter. Gardy adorait résoudre les énigmes et la logique était son fort. Il comprit tout de suite que si cela avait été rien duquel il fallait s'inquiéter son ami ne le lui aurait pas dissimulé.
_ Depuis quand? Me demanda-t-il simplement.
_ Environs deux semaines.
_ Et tu me le dis que maintenant?
_ Je ne voyais pas comment le faire.
_ Je vais contacter le centre de chimiothérapie.
_ Non! Lui dis-je avec empressement.
_ Il est déjà trop tard? Demanda-t-il d'une voix presqu'alarmée.
_ Non, le rassurai-je. Enfin, est-ce qu'on peut seulement savoir? Dis-je avec un haussement d'épaules.
J'avais passé une quinzaine de jours à y réfléchir et ma décision était prise. Aucune chimiothérapie ; aucune radiothérapie. Et tant que je serais encore en forme, je visiterais des endroits nouveaux avec Gardy, les enfants et ma mère. Je préférais profiter pleinement des derniers mois qui me restaient que de faire une vaine course contre la mort en sachant que la probabilité que celle-ci gagne était de cent fois la mienne.
_ Alors comment ça, non? C'est le protocole à suivre.
_ Je ne suivrai aucun protocole.
_ Si tu ne te fais pas soigner tu mourras!
_ Oh, arrête, Gardy! Traitement ou pas je mourrai. J'ai le cancer!
_ Pourquoi tu t'énerves ? Demanda-t-il ébahi.
_ Parce que tu fais celui qui ne comprend rien alors que tu es dans le domaine. Tu as déjà vu quelqu'un vivre plus d'un an après un diagnostic de cancer du sein? Moi, non !
_ Calme-toi, enfin, me dit-il en me prenant dans ses bras et cela eut l'effet habituel d'à chaque fois qu'il le faisait quand j'allais mal; je fondis en larmes.
Il poursuivit: _ Je comprends ton tourment, chérie. Mais je ne peux pas non plus rester les bras croisés pendant que cette merde te rongera de l'intérieur.
Je ne répondis rien.
_ Je n'aimerais pas revivre cela. S'il te plaît, cette fois au moins écoute-moi et soigne-toi.
_ Tu n'auras pas à revivre cela, on profitera des moments qu'il nous reste...
_ Je t'en supplie, Theresa.
Sa voix tremblotait. Il perdait visiblement patience. Doucement il brisa notre étreinte et alla s'asseoir sur le rebord du lit.
_ Je ne me ferai pas martyriser par ce satané traitement, dis-je en séchant machinalement mes larmes.
_ Je ne te savais pas si égoïste, Theresa.
_ Si tu vois comme de l'égoïsme le fait que je vous évite à toi et aux enfants de me voir dans un sale état avant que je crève, eh bien je l'assume. Je suis une égoïste.
_ Donc, tu ne te feras pas traiter?
_ Non, répondis-je avec une fermeté qui m'étonnait moi-même. J'envisage de profiter du reste de ma vie.
_ Ce sera sans moi.
_ Je survivrai. Jusqu'à ma mort ceci dit. Déjà que ce ne sera pas long, lançai-je en quittant la pièce.
Et ce fut ainsi que débuta le grand froid entre Gardy et moi. Nous communiquions très peu et nous touchions presque pas. Nous préférions attendre les tables rondes de fin de semaine pour nous exprimer plus ou moins longuement. Il était tout le temps là mais il me manquait. J'avais beau essayé de lui faire comprendre ma raison mais rien n'en fût. Je restais à ses yeux l'égoïste de laquelle il s'était malheureusement épris. Les journées de travail devenaient plus longues et elles étaient d'autant plus pénibles que rien d'agréable ne m'était réservé chez moi après mes quelques heures de boulot. Je voulais passer les derniers mois qui me restaient à faire la fête mais au lieu de cela je devais affronter mon époux au quotidien. Malgré tout, j'étais déterminée à m'en tenir à ma décision même si à chaque jour qui passait mon mari s'éloignait un peu plus de moi. Je ne lui en voulus pas... pas trop. Je me disais que comme ça mon départ l'affecterait moins.
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