« La vie est une aventure à vivre tous les jours que Dieu nous donne. » Proverbe yiddish (1977) ***
_ Ce que je suis contente de te voir!
Louise se jeta au cou de Betty laquelle se contenta de la serrer à son tour. Elle portait ses éternelles verres de correction et son cartable d'école. De son cuir chevelu émanaient deux couettes médiocrement réalisées qu'elle semblait apprécier et avec lesquelles elle se croyait la plus mignonne sur terre. A mon humble avis je ne la trouvais pas moins moche qu'un pou.
_ Je vis un véritable enfer, Betty. J'aurais vraiment voulu m'en échapper quelques heures.
_ Vraiment navrée, Lou, mais il n'y a personne à la maison.
Louise se précipita dans sa chambre escortée de sa meilleure amie.
Je refermai la barrière et retournai au salon boucler ma énième victoire de FIFA. J'écrasais mon père pendant que ma mère et Crystal marquaient les scores. Elles s'adressaient timidement, avec quelques maladresses toutefois. Il en était de même pour ma mère et moi. Au retour de ma petite virée dans les hauteurs avec mon père, je l'avais retrouvée plus triste que jamais et m'étais décidé à faire tout mon possible pour accepter et respecter sa décision. Elle était trop bonne mère pour que je ne puisse avoir le cran qu'il fallait pour lui pardonner ses torts. Et surtout, je tenais à elle. Quoique cela m'arrivait d'être effrayé par ce qui devait suivre, je parvenais à sourire quand je la voyais rire. Ce rire éclatant et contagieux me manquerait plus que tout autre chose. Je percevais cependant de la tristesse de temps à autre dans son regard. Louise ne lui parlait toujours pas malgré mes supplications et cela manquait à notre mère. Louise aussi dissimulait du chagrin. Je le savais parce qu'elle parlait peu. Ma sœur a toujours été très généreuse en paroles. Lorsque je lui posais une question qu'elle me répondait de manière concise, j'étais en alerte, c'était la preuve qu'elle allait mal. Et c'était son cas depuis environs un mois déjà.
Je m'écrasai sur le canapé pendant que ma mère me reprochait mon « manque de classe ».
_ Rien à voir avec de la classe, ma p'tite maman. Je vais lui donner une dernière raclée à ton amoureux qu'il aille se réfugier dans tes bras après cela.
_ Calme-toi, p'tit gars. Je ne veux juste pas te foutre la honte devant les demoiselles, mentit mon père.
Après sa dernière défaite, il s'en fut prouver ses talents de cordon bleu tandis que moi je me rendais voir ma jumelle dont l'amie m'avait fait parvenir le message qu'elle allait mal. J'entrai sans frapper. Louise était assise sur le plancher. Par mégarde, je foulai Monsieur Jojo, son affreux doudou vieux d'un siècle et elle ne broncha pas. « Grave! Très grave. » pensai-je.
Je réfléchis à l'attitude à adopter. D'habitude c'était à elle de me soutenir. Je n'avais jamais eu à faire face à une Louise déprimée. Je cherchai dans ma tête comment elle s'y prenait. La dernière fois remontait à la veille de ma rencontre avec les parents de Crystal. Elle s'était assise par terre à mes côtés et m'avait enlacé en me disant que tout irait bien et qu'elle était et serait là pour moi. J'avais ressenti un vide que ni ses paroles ni ses gestes n'arrivaient à combler. Alors je n'osais pas imaginer son état d'âme pour la situation actuelle.
Je m'assis au sol et l'enveloppai de mes bras. Il ne restait plus que les paroles. Je devais trouver autre chose à lui dire que tout irait bien. Je n'en étais même pas sûr. Et j'avais l'impression d'avoir moi-même besoin d'une épaule sur laquelle me pencher.
_ Je crois que je vais m'en aller. Ma mère doit être rentrée à présent, annonça Betty.
_ D'accord, répondis-je après plusieurs minutes sans savoir si elle était encore dans la chambre ou non, car Louise ne répondait pas.
_ Comment allons-nous faire, Dany?
Je n'avais pas la réponse à cela.
_ Tu penses qu'un miracle est possible?
Je n'étais pas sûr d'avoir la réponse pour cela non plus mais pour ce que je savais, les miracles, ou du moins ce genre de miracle, ne se produisait plus. Je craignais d'avoir un quelconque vain espoir qui ne serait autre qu'un leurre dévastateur.
Je ne répondis pas. Je ne voulais pas enlever le peu de lumière que détenait encore cette adolescente qui croyait dur comme fer que le Père Noël existait et qu'il habitait le pôle nord.
_ Ça a l'air d'aller pour toi, remarqua-t-elle.
_ Maman croit avoir bien agi et elle dit l'avoir fait pour notre bien, alors je fais en sorte qu'elle n'ait pas à regretter son choix.
_ Donc tu fais semblant ?
_ Non plus. Mais plutôt de lui faire la gueule je tâche de profiter de chaque seconde passée avec elle.
Ma sœur me lança un regard noir. Elle avait saisi le message dissimulé dans mes propos. Elle se leva d'un bond et retourna à ses livres.
_ Vous êtes tous des tarés dans cette maison, souffla-t-elle.
J'avais envie de l'appuyer dans ses dires mais je préférais me procurer ce petit brin de folie avant le cataclysme qui s'annonçait. On était des tarés qui savouraient les derniers instants d'une vie magnifique, d'un petit bout de vie que plus d'un rêveraient d'avoir au cours de leur longue existence sans jamais l'avoir, ne sachant ce qu'est la joie au sein d'une famille. Le jeu valait largement la chandelle.
_ Je vais donner un coup de main à papa, lui dis-je avant de quitter la chambre.
Je passai au devant du bureau de mon père. Cet espace me rappelait de sombres souvenirs. J'y revoyais Crystal m'y entraîner et me révéler la maladie que ma mère avait tout fait pour nous dissimuler jusque-là. J'ignorais si je devais lui être reconnaissant de m'avoir ouvert les yeux ou si je devais la reprocher de m'avoir ôté de ma petite vie plus ou moins paradisiaque. Quoiqu'il en fût, je lui devais de considérer ces instants passés avec ma mère.
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