«Le plus grand courage c'est de porter la responsabilité.» Proverbe français _ Le recueil d'apophtegmes et axiomes (1855) *** _ Hey, mec! Alors c'est réglé?
Christopher, un paquet de chips qu'il empiffrait à la main, venait de me rejoindre sur le banc où je me trouvais. Comme à chaque fois qu'il me saluait, il me mit une claque sonore au milieu du dos. En temps normal je lui en aurais foutue une bien plus douloureuse mais je n'avais pas l'esprit aux gamineries.
Je lui fis non de la tête. Étonné il me demanda: _ Tu n'as pas contacté Harold?
Nouvel hochement négatif de tête.
_ Pourquoi pas?
Je haussai les épaules de façon très brève sans dire un mot.
Christopher émit un long soupir, me donna une tape amicale, puis me souhaita du courage et s'en alla.
J'essuyai nonchalamment les miettes de chips qu'il avait laissées tomber sur mon veston et demeurai scotché au banc fait en terre, mon portable en main, décidé à y rester jusqu'à ce que sonneraient huit heures. C'était le seul endroit paisible que j'avais pu me dénicher; tous les coins et recoins du bâtiment étant occupés par des écoliers qui prétendaient revoir leurs notes, d'autres, plus transparents, bavardaient franchement. J'essayais vainement de faire le vide quand tout à coup je sentis deux bras m'encercler. Je ne fis pas l'effort de me retourner. De tous ceux qui fréquentaient l'établissement, une seule personne n'hésiterait pas à se coller ainsi à moi sans risquer d'être réprimandée. Il s'agissait certainement d'elle.
_ On enterre la hache de guerre?
Elle se fatiguait enfin de me faire la gueule.
_ Je n'avais rien contre toi, Lou.
_ Alors, on enterre la hache de guerre? Reprit-elle avec le même calme faisant mine d'avoir entendu parler le néant.
_ On enterre la hache de guerre, capitulai-je en un soupir.
Ma sœur m'ébouriffa mes boucles crépus. Après quoi elle posa sa tête sur mon épaule, ses bras me contournant encore.
_ Ça ira, Dany.
_ J'aimerais bien.
_ Ça ira, je te dis, insista-t-elle.
Elle est vraiment la fille de sa mère, cette petite!
_ Les parents de Crystal sont au courant, confessai-je la gorge nouée.
_ Eh comment? Demanda Louise en se redressant.
_ Sa mère ayant su pour son retard lui a pris un rendez-vous chez le médecin... et voilà.
_ Merde, alors!
_ Tu l'as dit. Et maintenant ses parents veulent me rencontrer... avec mes parents.
_ Ben le pire est derrière toi, Dany. Papa et maman savent déjà.
_ Je ne pense pas qu'ils savent que nous avions appelé les parents de Crystal pour qu'ils lui permettent de passer une soirée pyjama chez son amie alors qu'en fait...
_ Tu veux dire, que "tu" avais appelé...? M'interrompit-elle.
_ Tu as vraiment la mémoire courte!
_ Je me rappelle pas avoir fait cela, avoua ma sœur en prenant l'air le plus innocent qui soit.
_ En tout cas... Ils ne savent pas que j'avais parlé aux parents de Crystal en me faisant passer pour papa.
_ De toutes façons je suis autant dans la merde que toi. Maintenant ils sauront que je savais que tu prévoyais de te la faire, cette fille, se plaignit-elle.
_ Je suis désolé, Lou.
_ T'inquiète. Au pire, on nous fera faire des corvées pendant un mois, sans argent de poche, analysa-t-elle avant de se rendre à l'évidence avec une voix soulagée: Maman s'en fichera de toutes façons. Elle a beaucoup changé, tu ne trouves pas?
Je lui répondis oui de la tête.
La réaction de mes parents m'importait peu. Je les aurais déçu encore une fois. Ils agiraient en conséquence. Et cela s'arrêterait là. Comme à chaque fois que je commettais une bêtise qu'ils finissaient par éponger. J'étais plutôt préoccupé par le père de ma copine et m'imaginais des scènes afin d'anticiper la réaction de ce commissaire haut-gradé de la police face à l'adolescent qui avait eu assez de couilles - au sens propre comme au figuré - pour mettre sa petite fille chérie en pleine ceinture. Il m'enverrait en garde-à-vue sinon au pénitencier direct. Il pouvait tout me faire, étant un homme opulent qui fréquentait les plus grands cercles du pays. A cette idée je sentis une goutte de sueur glaciale ruisseler le long de mon échine.
Je vérifiai mon téléphone une fois encore. Mon père n'avait toujours pas lu mon texto et cela me nuisait. Il était pourtant en ligne lorsque je le lui avais envoyé. Je lâchai un soupir - j'étais devenu un spécialiste dans ce domaine; j'en émettais au moins une centaine de l'heure.
_ Qu'est-ce qui ne va pas?
_ C'est rien.
_ C'est pas rien. Qu'est-ce qu'il y a, Daniel?
Bien sûr! Avec ma sœur rien n'est jamais rien.
Ma réponse ne changea toutefois pas. Louise me persécuta une dizaine de minutes au moins avec sa question récidivante jusqu'à ce qu'enfin la sonnerie de la rentrée me libéra de son harcèlement.
Sans attendre, je me faufilai dans le corridor menant à la grande cour, mon sac au dos et mon cellulaire serré très fort dans mon poing. Je rejoignis la ligne de garçons qui s'ébauchait avec maladresse pour la montée des couleurs. Je soufflais à peine qu'un pincement au bras me ramena à ma réalité tourbillonnante. Cette fois-ci je me retournai. Louise, son fameux et très explicite regard «tu ne penses certainement pas que notre conversation est finie», m'accosta avant de prendre place aux rangs des filles. Plus loin, les huitièmes années, tant bien que mal, s'arrangeaient au devant de leur salle. J'aperçus Crystal. Elle avait pris un certain embonpoint depuis la semaine précédente. Nos regards se croisèrent l'espace d'un instant avant que, simultanément, nous les détournâmes.
_ Tous les matins il faut qu'on vous dise la même chose! Doit-on vous réapprendre, à votre âge, comment former une file convenable?
Madame Gourrot vociférait ce matin encore - c'était plutôt par habitude que par nécessité qu'elle nous cassait les oreilles au quotidien avec son timbre on-ne-peut-plus cacophonique. Son éternel chemisier kaki criait à l'aide au-dessus de son proéminent abdomen. Ce n'était qu'une question de temps avant que les boutons de son pauvre corsage torturé volent en éclat. Elle continua son speech. Celui-ci durait dans les cinq minutes en général.
J'en profitai pour jeter un bref coup d'œil à mon cellulaire. Mon père avait enfin répondu. Le coup d'œil qui était censé être de moins d'un millième de seconde se prolongea donc. Il m'accompagnerait mais n'interviendrait que s'il le fallait. Ce serait à moi de parler au commissaire Legrand et à sa femme. Puisque j'étais l'auteur de cette embarrassante situation, il me revenait d'en assumer les retombées.
_ Mon discours vous dérange peut-être, Monsieur Charles? Lança la responsable de discipline à mon adresse.
Oh que oui il me dérange !
Aussitôt, tous les yeux se tournèrent vers moi alors que je m'empressais d'insérer mon portable au fond de ma poche.
Comentarios